« Le vrai et le seul problème technique de la transition écologique, c’est son financement » – Nous avons rencontré Gaël Giraud

Gaël Giraud est chef économiste à l’Agence Française de Développement (AFD) depuis 2015. Outre ses fonctions de directeur de recherches au CNRS et de directeur de la chaire « Energie et Prospérité » (soutenue par l’ENS, l’Ecole Polytechnique, l’ENSAE et l’Institut Louis Bachelier), il enseigne également à l’Ecole des Ponts Paris Tech et donne régulièrement des conférences dans divers institutions de recherches. Après une thèse en mathématiques portant sur la théorie des jeux, il se spécialise dans la théorie de l’équilibre général et s’intéresse aujourd’hui tout particulièrement aux questions de financement de la transition énergétique et écologique. A ce titre, il a fait partie de la Commission internationale Stern-Stiglitz sur la tarification carbone en 2017. En 2009, il a été nominé pour le titre de « meilleur jeune économiste français » par Le Monde / Le Cercle des économistes.

Il nous a chaleureusement accueillies le 28 novembre dans son bureau à l’AFD.

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Le musée, une entreprise en banqueroute ?

En avril 2015, The Art Newspaper publiait un classement des musées d’art les plus fréquentés au monde. Sans surprise, le Louvre, avec près de 10 millions de visiteurs (7,4 millions en 2016), remportait la palme. Venaient ensuite le Musée national de Chine, le British Museum, la National Gallery à Londres, le Metropolitan Museum of Art à New York et les Musées du Vatican. Les musées seraient presque, selon le mot de Malraux dans La Tête d’obsidienne, « les seuls lieux du monde qui échappent à la mort » : vivants, dynamiques, ils sont confrontés à de nombreux défis contemporains. Et c’est là l’intérêt d’une analyse économique des musées : plutôt qu’une sacralisation de ces temples de la civilisation, il s’agit d’en interroger le fonctionnement, le financement et l’intérêt qu’ils suscitent.

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L’impasse économique des APL

La baisse des Aides Personnelles au Logement (APL) est à juste titre une grande préoccupation sociale et politique : le logement est le second poste de consommation des Français et ces aides, bénéficiant surtout aux plus pauvres (76% des ménages du décile des revenus les plus bas),touchent une grande partie de la population (6 millions et demi de Français, soit 20 % des ménages). Elles atteignent des sommes considérables pour l’État et sont capitales pour les revenus modestes et moyens (avec un montant allant, en 2016, de 239 à 292 € pour une personne seule ; avec un montant moyen de 225 €, toute catégorie confondue ; avec, enfin, un montant total de 17, 4 milliards € en 2013 pour l’État, puis de plus de 18 milliards en 2015, etc.). Outre ces caractéristiques comptables et économiques, suffisant à en démontrer le poids, les APL revêtent aussi un fort caractère symbolique, puisqu’elles sont la pierre angulaire de la politique de logement de la République depuis les années 1970, qu’elles en incarnent le principe d’universalité, et qu’elles répondent ainsi à une certaine interprétation du préambule de la constitution de 1946, qui garantit “à tous […] la sécurité matérielle”. Tout cela pèse beaucoup dans le débat public ; et l’on comprend que cette baisse importe moins par sa somme – même si  les nouilles, les conserves et le pain de mie de MM. Corbière et Mélenchon et l’appel tragique aux propriétaires de M. le Président d’autre part l’ont quelque peu dramatisée – que par son aspect emblématique, voire provocateur.

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Les médias ont-ils renoncé à l’information ? Sur les travaux de Julia Cagé

« Journalopes », « merdias », « Lügenpresse », « oligarchie médiatique », « fake news » : pour critiquer un média, force est de constater que le vocabulaire ne manque pas de nos jours. Tout utilisateur de réseaux sociaux y aura été confronté à la lecture des commentaires d’un article ; toute personne vivant en société aura entendu l’un de ces termes fleuris lors d’une discussion.

Les accusations viennent de tous les bords. La gauche et l’extrême-gauche revendiquent une longue tradition de critique des médias. Mais la droite et l’extrême-droite ne sont pas en reste : le terme de « Lügenpresse » (que l’on pourrait traduire par « presse faite de mensonges »), aujourd’hui utilisé par le mouvement de la droite radicale PEGIDA ainsi que par l’AfD allemande, appartient à la novlangue hitlérienne. De nombreux sites de « réinformation » penchant dangereusement à droite fleurissent – on peut citer Breitbart, Égalité & Réconciliation et fdesouche.

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« L’économie n’est pas un outil pour penser le monde tel qu’il est » : rencontre avec Esther Duflo et Abhijit Banerjee

Comment penser la pauvreté en économie ? Depuis les premières tentatives de Smith, qui pensait la pauvreté au prisme de l’histoire des nations, et surtout de Malthus, qui la liait aux problèmes causés par l’insuffisance des ressources, jusqu’aux réflexions contemporaines analysant l’aide au développement, les pistes sont nombreuses. Mais les plus audacieuses sont sûrement tracées par Esther Duflo et Abhijit Banerjee, deux économistes mondialement reconnus, spécialistes de l’économie de la pauvreté et professeurs au MIT.  En 2003, ils ont fondé avec Sendhil Mullainathan le Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab, ou J-PAL, un laboratoire de recherche en économie dont l’objectif est de « lutter contre la pauvreté en veillant à ce que les politiques sociales s’appuient sur des preuves scientifiques », comme le précise le site du laboratoire. La lutte contre la pauvreté ne doit pas, selon les trois économistes, céder aux « bons sentiments » en promouvant des politiques qui semblent moralement plus justes mais sont en fait inefficaces ;  d’autre part, les politiques menées ne peuvent consister en une simple aide monétaire aux pays ou en la promotion simpliste de la création et de la libéralisation des marchés.

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« Celui à qui l’on a vendu l’austérité et qui constate une dégradation des services publics se dit qu’on lui raconte des cracks » – Economens a interviewé P. Waechter

Philippe Waechter est directeur de la recherche économique chez Natixis Asset Management. Économiste de formation, il enseigne également à l’ENS Cachan ; il s’intéresse dans ses articles aux dynamiques macroéconomiques de l’emploi et des revenus.

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Pour ce dernier article avant la pause estivale, Nicolas Krakovitch et Linus Bleistein, élèves au département d’économie de l’ENS Ulm, l’ont rencontré le 6 juillet 2017 dans les locaux de Natixis du XIIIe arrondissement (Paris), pour discuter de la crise populiste, de sa vision de l’économie et du métier de chercheur en banque.

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Le fonctionnaire est-il un gaz parfait?

« On se plaint sans cesse de ce que nous manquions d’hommes pratiques; on dit que nous avons, par exemple, beaucoup d’hommes politiques, et que toutes sortes d’administrateurs, on en trouve autant qu’on veut. On dit même qu’il est absolument impossible d’établir une administration tant soit peu convenable dans une quelconque compagnie de navigation. (…) Il semblerait qu’il y en a tellement, des services dans les administrations publiques, que cela fait peur rien que d’y songer; tout le monde a été, est, ou compte devenir fonctionnaire. »

– Dostoïevski, L’Idiot, III, 1

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Les petites histoires font les grandes crises

 

Que vous soyez économiste ou non, vous avez entendu parler de la crise de 2007. Vous connaissez des histoires, des anecdotes, des « légendes urbaines » qui en exemplifient les mécanismes : celles de traders qui spéculent de manière excessive, de familles américaines mises à la rue, de banques malhonnêtes. Vous connaissez d’autres crises et phénomènes économiques à travers d’autres récits. La crise de l’Etat providence et de l’endettement public vous rappelle cette histoire du fonctionnaire de Sainte-Savine payé « à ne rien faire ». En pensant aux inégalités, c’est peut-être la fameuse étude d’Oxfam qui vous revient à l’esprit – huit personnes possèderaient autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Et lorsqu’on vous demande quelle part de la population française est de confession musulmane, vous êtes susceptible de donner une réponse proche des 30% (comme le Français moyen).

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La peur des réfugiés ne peut pas être une politique

            « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! », pouvait-on lire sur une célèbre affiche du Front national lors des législatives de 1978. Alors même que la « crise des réfugiés » qu’évoquent les media contemporains n’est pas totalement analogue à la situation de la France de la fin des Trente Glorieuses, les reproches adressés aux réfugiés, et plus généralement aux migrants, ont peu changé : ils prendraient le travail des nationaux, accroîtraient le sentiment d’insécurité chez ceux-ci et abuseraient de la bienveillance de l’État-providence. Frayant son chemin dans cette forêt de mythes et de fantasmes, l’économiste essaie de cerner les effets de l’afflux de réfugiés sur l’activité économique et les finances publiques des pays qui y font face, à court terme comme à long terme.

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